Thérèse au théâtre

Entretien avec le Père Bernard Bro

 

"Il y a autant de différence entre l'Evangile et une vie de saint qu'entre une musique notée ou chantée", disait François de Sales. Mais quand la vie d'une sainte comme Thérèse est mise en scène par des artistes talentueux, l'effet est encore plus saisissant. C'est ce qu'a ressenti le Père Bro, spécialiste de sainte Thérèse, en assistant aux spectacles de Michael Lonsdale (1) et de Catherine Brieux (2).

 

Père Bernard Bro (3), que peut-on encore dire de sainte Thérèse ?

On compte au moins 4.700 ouvrages sur Thérèse mais est-ce à dire qu'elle ne reste pas pour beaucoup très méconnue, témoin la platitude de l'émission que lui a consacrée France 3 le 14 août dernier, comme s'il s'agissait avec Thérèse de Lisieux d'une opération de marketing réussi. Que d'à-peu-près ne laisse-t-on pas encore par exemple sur la "petite" voie ou sur ce qu'on appelle un peu vite ses "doutes" sur la foi.

Surtout, aujourd'hui, la déclaration du "doctorat" est une Pentecôte pour le message de Thérèse : la voie de sainteté de Thérèse est désormais proposée à tout le peuple chrétien. Le premier centenaire, celui de sa naissance, avait permis de clore les problèmes posés par l'histoire et les écrits de Thérèse. Celui de sa mort ouvre aujourd'hui une nouvelle période qui oblige à se demander ce que Dieu a voulu dire par Thérèse, quelle est la valeur universelle de son message, de sa doctrine ? Une doctrine"fulgurante", car telle est l'exigence de l'Eglise pour déclarer quelqu'un docteur. De fait, sainte Thérèse c'est du saint Jean ou du saint Paul en bande dessinée. Dieu nous propose non un professeur mais une enfant. Cinquante ans à l'avance elle répond à Sartre et à Valéry - ces disciples du désespoir. Aucun de ses écrits ne s'intitule "traité de théologie", mais peu de textes sont aussi théologiques que, par exemple, son faire-part de profession religieuse ou la lettre à sa sur quand elle lui parle du ciel.

 

Les pièces de Michael Lonsdale et Catherine Brieux sont fortes. Pourquoi selon vous ?

Oui, très fortes, très belles, très justes. Thérèse elle-même est un auteur de théâtre ! Elle qui avait écrit huit pièces a parfois été mieux comprise par les metteurs en scène que par les théologiens. Chargé un jour de trouver une lecture à France Culture pour Noël, je choisis le récit de la conversion de Thérèse. Le directeur de la radio vint ensuite me demander quel était cet auteur qui manifestait la force d'un Dostoïevski ou d'un Pascal... et fut ahuri de la réponse.

 

Cette force a-t-elle d'autres raisons ?

Les deux pièces sont fortes parce qu'elles rendent bien compte de la dramaturgie intime de sainte Thérèse, qui, allant de la mort de sa mère à la sienne, intègre la confiance, la joie, la souffrance, le combat et la mort. Elles ont aussi su montrer l'univers de tendresse et de force dans lequel elle a baigné, sans rapport avec une banale sensiblerie.

Les deux pièces sont fondées sur ces questions : que dis-tu de la mort ? que dis-tu de l'amour ? A cela, on ne peut pas répondre par des idées, mais par une parole vivante. Il y a une fécondité esthétique de sainte Thérèse à travers ces pièces parce que les metteurs en scène on su rester candides, sans s'égarer dans le désert des soupçons, avec la même candeur que les premiers témoins.

 

C'est donc cette candeur qui permet à la force des écrits de se manifester ?

Plus que cela. Cette candeur des metteurs en scène permet à la fécondité d'expression de Thérèse de passer la rampe.

D'abord, les metteurs en scène ont su montrer l'atmosphère de communion - je dirais même de communion des saints - qui existe dans un couvent. Je le sais pour avoir souvent prêché dans de tels lieux. Cela n'a rien à voir avec l'atmosphère de campagne électorale que décrivent certains biographes. M. Lonsdale et C. Brieux montrent aussi comment Thérèse n'est pas entrée au couvent pour reconstituer un cocon familial mais comment elle y a trouvé une communauté joyeuse, heureuse. Car un couvent est un lieu de fête perpétuelle : Immaculée conception, Noël, Epiphanie... sont autant d'occasions de se réjouir qui transfigurent ceux qui les vivent. Le Carmel, c'est le Mundial sans esprit de compétition ! Les J.M.J. peuvent nous aider à comprendre cette atmosphère.

Ensuite, jouer ces textes les ressuscite dans leur authenticité de dialogue. La lecture ne révèle pas toujours le génie de Thérèse. Mais au théâtre, ces textes montrent des personnes qui vivent un drame, avec le Christ toujours présent soit comme partenaire direct, soit comme personne au nom de laquelle Thérèse parle. C'est là que se manifeste cette force littéraire comparable à celle d'auteurs comme Pascal ou Bernanos. A cause de la présence, parfois cachée, du Christ dans ces dialogues, ils deviennent doctrine et message pour tous. Cela, les deux pièces le montrent. Le fondement du Christianisme est là : dans le dialogue entre deux personnes. Le Pater et le Credo sont de ceux-ci, très intimes, qui nous introduisent à un nouvel ordre d'existence : le débat de Job avec Dieu, la confiance au Christ en plus. Sainte Thérèse montre qu'elle peut éveiller à ce qu'il y a d'absolument propre au catholicisme : le mode d'existence d'après la Pentecôte. Avant la Pentecôte, chacun suivait son existence personnelle, l'aveugle-né d'un côté, les disciples d'Emmaüs de l'autre. Après, c'est la communion de tous les croyants de tous les temps : l'aveugle, les disciples d'Emmaüs, saint Pierre, la Samaritaine, nous sommes toutes ces personnes à la fois touchées par le Christ.

 

Et si l'on devait comparer les deux pièces ?

Catherine Brieux rend très bien compte de l'univers et de la joie familiale chez les Martin, contrairement à l'insistance de certains biographes. Elle ouvre sa pièce par la question de l'espérance et du doute et elle rend perceptible le combat face à la souffrance, la maladie et la mort. Elle montre bien l'épuisement qui précède cette sorte de mort où l'agonisante n'en finit pas de tousser et où les témoins n'en peuvent plus de l'entendre mourir. La mort par tuberculose est telle, insupportable, à en donner le frisson aux vivants.

Lonsdale aborde les questions de la vocation, du rôle de la charité et de l'amour, de la grandeur du quotidien. Ces deux pièces sont complémentaires alors qu'elles ont puisé à la même source. C'est un vrai cadeau du ciel.

 

En dehors du fait que ces spectacles sont artistiquement réussis, ont-ils une valeur missionnaire ?

Si j'avais à faire comprendre le catholicisme à un musulman ou un bouddhiste - religions qui ne sont pas fondées sur la relation à une personne mais sur l'observance -, je lui dirais d'aller voir les deux pièces. Elles montrent la réponse de Dieu. Par elles, on sort du soupçon. Newman disait : "mille difficultés ne font pas un doute". La catéchèse de sainte Thérèse est celle de l'émerveillement.

 

Ces spectacles suivent-il la fameuse "petite voie" ?

Ces spectacles résonnent comme l'éclat de rire juvénile de Thérèse dans un monde qui a si souvent perdu l'humilité. C'est un rafraîchissement fidèle à Thérèse dont l'enseignement devrait enfin décongeler ce que peuvent avoir de trop désséchées certaines catéchèses actuelles. On ne peut que redire ce qu'elle écrivait un peu plus d'un mois avant la fin de son agonie : "je ne meurs pas, j'entre dans la vie".

 

 

propos recueillis par
Pierre FRANCOIS
pour le Journal France Catholique

 

 

(1) A partir du 10 octobre, reprise de : "Vous m'appellerez Petite Thérèse", avec Lila Rédouane, Françoise Thuriès, Michael Lonsdale, mis en scène par Michael Lonsdale. A la crypte Saint Sulpice, 75006 Paris, du mercredi au samedi à 20h 30, samedi et dimanche à 16 h. Places à 130/TR 100F. Tél. : 01.43.54.67.64.

(2) Jusqu'au 19 octobre, reprise de "Thérèse ou l'histoire d'une âme", avec (nouvelle distribution) Sophie-Anne Lecesne, Dominique Coulomb, Marianne Jamet, Julia Leblanc, mis en scène par Catherine Brieux. Au théâtre "Les cinq diamants", 10 rue des Cinq-diamants 75013 Paris, du mercredi au samedi à 20h 30, le dimanche à 17 h 30. Places à 90/TR 50F., Tél. : 01.45.80.51.31. A noter : une représentation exceptionnelle aura lieu le jour de la déclaration du doctorat, 30 septembre en l'églises N.D. des champs à 21h (P.A.F.)

(3) Il a écrit : Thérèse de Lisieux. Sa famille, son Dieu, son message. Fayard, 1996, disponible auprès de France Catholique, prix, franco de port : 120F.

 

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