THERESE DE LISIEUX

"Je voudrais parcourir la terre"

 

"Je voudrais parcourir la terre". Cette parole prophétique de Thérèse s'inscrit dans ses grands désirs missionnaires qu'elle nous a livrés un an avant sa mort : "Je voudrais annoncer l'Evangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées...".

Comment ne pas être impressionné aujourd'hui par la prodigieuse réalisation de ses désirs ? Tous ceux qui ont voyagé à travers le monde savent bien qu'il y a très peu d'églises qui ne possèdent une statue de Thérèse. Et que dire de cet autre phénomène surprenant en cette fin de siècle : l'accueil de ses pauvres restes mortels dans le monde entier, vécu comme une grâce inattendue de renouveau dans l'annonce de l'Evangile ? C'est ce qu'attestent unanimement les évêques, les prêtres et tous les fidèles qui ont reçu les reliques de Thérèse avec tant de ferveur et pour le plus grand bénéfice spirituel de leurs communautés.

A l'aube du troisième millénaire, Thérèse apparaît donc comme un acteur privilégié de la nouvelle évangélisation avec lequel il faut compter. Doit-on s'en étonner quand on sait que l'Eglise l'a choisie comme patronne universelle des missions ? Chacun a désormais compris que la permanence de son rayonnement tient au fait que son message est l'écho très pur et très fidèle de l'Evangile. Il n'est donc pas surprenant que son agenda soit rempli de rendez-vous au-delà de l'An 2000. Qu'on en juge par l'évocation de tous ces pays qui l'attendent et qui préparent sa venue avec tant de soin.

Depuis le début de l'année 1999, à peine terminé son inoubliable séjour d'un an au Brésil, Thérèse se trouve aux Pays-Bas, accueillie dans les principales villes. Du 27 février au 30 juin ce sera au tour de l'immense Russie de la recevoir. Principales étapes de cette pérégrination : Saint-Pétersbourg, Moscou, Novgorod, Smolensk, Vladimir, Saratov, Marx, Orenbourg. Alors commencera un long périple à travers la Sibérie : Ekaterininbourg, Krasnoyarsk, Irkoutsk, Vladivostok, sans oublier Magadan et les îles Sakalin. Puis retour à Moscou après un séjour d'un mois au Kazakhstan.

Du 1er juillet au 4 octobre, Thérèse franchira à nouveau les océans pour aller à la rencontre des soixante-quatre diocèses de l'Argentine. Elle sera présente au sixième Congrès missionnaire latino américain.

Nouvel envol pour les Etats-Unis d'Amérique : Washington, Philadelphie, New Jersey, New-York, Boston, Niagara Falls, Chicago, Saint Louis, Milwaukee, Sioux City, Oklahoma City, Little Rock, New Orleans, Miami, San Antonio, Dallas, Los Angeles, San Diego, Anchorage en Alaska, Seattle, Salt Lake City, Las Vegas, Santa Fe, Tucson, les îles Hawaï.

Parties d'Honolulu le 30 janvier 2000, les reliques seront reçues pendant deux mois aux Philippines. On espère ensuite que Thérèse pourra se rendre au Vietnam et à Hong Kong. Les reliques séjourneront également à Taïwan.

Après cette grande tournée dans le Sud-Est asiatique, Thérèse regagnera l'Europe le 30 avril 2000 où de nouveau l'Italie se prépare à l'accueillir pendant plusieurs mois. Ce sera l'année du Grand Jubilé. Et déjà se profile à l'horizon de l'automne 2000 le Mexique où les évêques la réclament...

Thérèse n'a pas fini de nous surprendre. Mais n'était-elle pas surprenante cette prophétie qui s'accomplit sous nos yeux ? : "Les Saints me disent : après ta mort ce sera le temps de tes travaux et de tes conquêtes" (Derniers Entretiens : 10 août 1897).

R. ZAMBELLI

Recteur de la Basilique de Lisieux

 


 

RELIQUES

Thérèse en Russie

 

Une pluie de grâces... le pèlerinage des reliques de Thérèse à travers la Russie, c'est l'arrivée d'une amie chez les siens, le retour d'une sur attendue depuis si longtemps. Thérèse, patronne des missions et protectrice de la Mission catholique en Russie arrive enfin. Ce pèlerinage se prépare depuis longtemps : pendant le régime totalitaire, l'Histoire d'une âme circulait en Russie "sous le manteau", elle a été éditée et rééditée durant ces dix dernières années, puis, l'an dernier, les manuscrits autobiographiques ont été publiés en russe, enfin l'Histoire d'une vie de Mgr Guy Gaucher se répand actuellement par centaines d'exemplaires. Des récollections ont été organisées un peu partout l'an dernier, des images ont été distribuées... Enfin "la" voilà ! Car les croyants ne parlent plus de "reliques" : c'est elle-même qui vient visiter son Eglise en détresse. "Elle est dans telle paroisse, elle va partir dans telle ville, elle passera dans mon village" !

 

L'arrivée à Moscou, le 24 février dernier, est une véritable épopée digne de Thérèse. La France se targuant d'être un pays "laïc", tout soutien officiel a été refusé du côté de l'ambassade pour recevoir à l'aéroport la patronne secondaire de la France. Les douaniers, bien qu'avertis par la nonciature, font traîner les formalités. Sur Tamara et son équipe venue de France attendent, ne lâchant pas un instant leur précieux chargement pendant que l'Archevêque et son secrétaire essaient de venir à bout de la bureaucratie. Un reliquaire de 240 kg, en bois précieux n'est pas un objet ordinaire. Le service vétérinaire voudrait s'en mêler... ce sont des ossements humains ! Le prêtre chargé de recevoir les reliques en profite pour raconter la vie de Thérèse et distribuer des Histoire d'une vie aux fonctionnaires de l'aéroport fascinés par les photos de Thérèse. Au moment le plus critique, un renfort inattendu arrive à point : les épouses des ambassadeurs du Guatemala et du Brésil (Thérésa et Maria-Thérésa bien sûr), apparaissent avec des bouquets de roses, se mêlent de l'affaire, prenant fait et cause pour défendre "leur" sainte. Enfin Thérèse est "dédouanée" ! La neige tombe gracieusement sur Moscou... Comme la nuit est bien avancée, les reliques "dorment" à l'ambassade du Guatemala... on aurait préféré que ce fût celle de France !

Au matin, une première messe est célébrée par l'archevêque de Moscou devant... la caisse en bois qui protège le reliquaire : la clef a été égarée ! Finalement au "Sanctus" la caisse est démontée en douceur et le reliquaire apparaît, semblant sortir d'un uf, comme si Thérèse, impatiente, avait décidé de faire sauter les verrous qui l'enferment... déjà les fidèles s'approchent, touchent le reliquaire, l'embrassent...

Le samedi 27 février, les reliques traversent la capitale, escortées par la voiture diplomatique de l'ambassade du Guatemala, drapeau au vent, et conduite par l'ambassadeur lui-même. Après 800 km de route enneigée et gelée, toujours sous escorte officielle, les voici au séminaire de Saint-Pétersbourg, point de départ officiel du pèlerinage de quatre mois à travers la Russie d'Europe et d'Asie et le Kazakhstan, sur plus de 30 000 kilomètres. L'unique séminaire catholique de langue russe... pour Thérèse, entrée au Carmel afin de prier pour les prêtres, c'est tout un programme ! L'accueil qui lui est réservé ne doit pas la décevoir. A son arrivée, l'église-cathédrale est pleine, cinquante séminaristes en aube font une haie d'honneur jusqu'au pied de l'autel majeur où le Saint-Sacrement est exposé depuis le début de l'après-midi. Un reposoir a été dressé, avec... oh ! merveille pour une Russie pauvre et transie sous la neige... des bouquets de roses !

Vêpres solennelles, bénédiction du Saint-Sacrement, messe en l'honneur de Thérèse se succèdent. Tout le monde est très ému : "elle est là", on le sent. Sylvie Buisset chante, les curs vibrent à l'unisson, et beaucoup de larmes coulent... Le soir, tard, des gens sont encore devant la châsse, en prière, et il faut les mettre dehors.

Dimanche, l'église ne désemplit pas jusqu'à la grande veillée organisée par le séminaire. Tout le monde fait de son mieux : les séminaristes ont appris les chants de Thérèse en russe et répété avec leurs instruments : Viktor joue du violon, Miroslav accompagne à la guitare, Sergei tient l'orgue, Sylvie chante en français et Helena, une paroissienne, lui répond en solo. Près de trois heures durant, dans une église bondée, le temps semble s'être arrêté. Le moment de la vénération des reliques est le plus émouvant : les gens viennent embrasser un petit reliquaire, beaucoup le serrent dans leurs bras et pleurent à chaudes larmes. La procession semble ne jamais pouvoir finir... Il y a près de cinq cents personnes dès ce deuxième soir !

Quelques jours plus tard, les reliques arrivent à l'église du Sacré-Cur, édifice de style néo-gothique découpé en quatre étages de bureaux, dont seule une partie du rez-de-chaussée et du 4e étage a été rendue aux fidèles. Impossible de franchir les portes de la "Salle Lénine" où devrait avoir lieu la cérémonie : le reliquaire est trop grand, Thérèse refuse d'entrer chez Lénine !!! C'est donc dans le couloir que des centaines de personnes vont défiler en chantant des cantiques pendant plusieurs heures. Certains ont amené des malades : une jeune maman atteinte de tuberculose osseuse et difficilement transportable a tenu à venir avec son mari, lui-même touché par un cancer. Se pressent également des sourds et des aveugles. Beaucoup de misère comme au temps de Jésus "quand il passait faisant le bien et guérissant les malades...".

Ce n'est qu'un début : les reliques vont parcourir les paroisses catholiques de Saint-Pétersbourg pendant une semaine, avant de sillonner la région en descendant vers Moscou, puis elles gagneront les rives de la Volga, les bords de la mer Noire, la Sibérie et jusqu'à Vladivostok, puis le Kazakhstan et les steppes de l'Asie centrale... Thérèse voulait être missionnaire et elle avait choisi par amour de s'enfermer dans un carmel... Elle prend maintenant le large ! Car, comme les nouvelles font "boule de neige", les foules ne cessent de grandir et chaque paroisse se prépare de son mieux. Le patriarcat orthodoxe a été averti en temps opportun et n'a fait aucune difficulté, à condition que ce soit une affaire interne à l'Eglise catholique... Thérèse reste dans les lieux de culte catholique, mais peut-on contrôler qui vient ? Tout le monde aime Thérèse...

Pour comprendre quel "ouragan" de grâces la présence des reliques déclenche, je voudrais raconter quelques "fioretti" vécus personnellement.

L'étonnant ambassadeur du Guatemala et son épouse, surgis providentiellement le soir de l'arrivée des reliques à Moscou ont tenu à les escorter jusqu'à Saint-Pétersbourg, puis ont passé la journée du dimanche en prière et finalement décidé de prendre en main les formalités du retour au mois de juin à partir du Kazakhstan via Moscou : ce que les Français n'osent pas faire, ils le feront : "Après tout, je suis ambassadeur, moi aussi, et j'ai droit à la valise diplomatique, dit cet homme... Thérèse en profitera !" Et il ajoute : "Nous aimons l'Eglise". Son épouse me confie le secret de leurs prières : "j'ai trois fils... si le Seigneur pouvait nous faire la grâce d'avoir un prêtre dans notre famille... ou même plusieurs !"

Les confessions surtout sont bouleversantes : beaucoup de gens se réconcilient pour la première fois avec Dieu ou reviennent vers les sacrements, après des années d'égarement. Un soir un monsieur, après sa confession, me confie le drame de sa vie : sa fille aînée, âgée de près de trente ans, a été élevée sous le régime totalitaire officiellement athée, ils n'ont pas osé l'envoyer au catéchisme, elle est baptisée mais se dit non croyante. Le même soir, une dame me parle d'un problème identique, je devine qu'il s'agit de l'épouse du premier monsieur. A tous deux je dis simplement : "priez Thérèse et dites à votre fille : un prêtre t'attend demain, à la fin de la veillée, n'ajoutez rien, ne forcez pas, proposez sans insister." Le lendemain, après la veillée, je confesse jusqu'à minuit. Plusieurs personnes sortent en larmes du confessionnal : je n'avais jamais vu ça. La dernière pénitente est une jeune femme qui, entre deux sanglots, me dit : "Hier vous avez dit à mes parents que vous m'attendiez, j'ai beaucoup hésité, me voici". Beau coup de filet pour celle qui se voulait "pêcheur d'âmes" !... Le reste appartient au secret de la confession, mais à la sortie, cette personne est allée longuement se recueillir devant les reliques, puis s'est tournée vers ses parents et tous les trois se sont embrassés avec effusion.

Encore une petite histoire : Un soir, les surs de Mère Teresa ont emmené un groupe de "sans-abri", dont elles prennent soin et qui, pour le moins, ne sont pas versés sur la religion ; au terme de la soirée, après trois heures de prière, l'un d'entre eux reste là, la tête entre les mains. Dort-il ? Est-il ivre ? Une sur s'approche et le bouscule : "Allez, Monsieur Igor, il faut partir ! On se bouge !" L'homme lève un visage rayonnant et lance d'une voix forte à travers la cathédrale où beaucoup de gens sont encore en prière : "Mais enfin, M.... ! Ma sur, vous ne pouvez pas laisser les gens prier tranquillement !". La petite sur reste comme pétrifiée puis se met à genoux près de son clochard... Merci Thérèse !

 

Père Pierre DUMOULIN

vice-recteur du Séminaire catholique de Russie

 

paru dans FRANCE CATHOLIQUE N° 2665 DE MARS 1999

 

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