Histoire de Thérèse

écrite par Soeur Monique Marie de la Sainte Face
pour le N°15 de la revue
Théophile

 

Enfance et Adolescence:
"Les années ensoleillées de ma petite enfance"

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Au carmel (1888-1897)
"Mes premiers pas ont rencontré plus d'épines que de roses"

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Un ouragan de gloire

 

A lire aussi: Un article de Mgr Gaucher sur
la dernière année de la vie de Thérèse


 

Amour pour amour

"Venez et voyez"

Ne vous est-il jamais arrivé de penser que Sainte Thérèse de l'EnfantJésus et de la Sainte Face, plus communément appelée "la petite Thérèse", n'avait absolument rien à voir avec notre propre vie ? Ne l'as-t'on pas "statufiée", comme tant d'hommes et de femmes qui, malgré l'amour qu'ils lui portent, ne peuvent l'imaginer autrement que sur un piédestal, effeuillant langoureusement quelques pétales de roses sur un crucifix ? ... Que n'a-t-on pas dit sur elle ! Quelles fausses idées n'a-t-on pas véhiculées sur son compte !

Alors, si vous le voulez bien... "venez et voyez". "Brisez la statue" et "toutes ces roses en pâtisserie" ! Acceptez de vous laisser séduire par cette jeune fille que vous découvrirez étonnamment proche de vous, de tout ce qui tisse votre vie, de vos souffrances comme de vos joies. Elle saura vous rejoindre dans vos aspirations les plus profondes, au-delà de vos doutes, de vos sentiments d'échec, d'inutilité apparente, au-delà de l'absurde, voire de votre désespoir...

Dans la vie de Thérèse, "Amour et vérité se rencontrent". Oui, "venez et voyez", elle vous enseignera la demeure du Maître, elle vous découvrira le Visage de Jésus...

 

 

Enfance et Adolescence

 

Alençon (1873-1877)
"Les années ensoleillées de ma petite enfance"

Les parents de Thérèse ont été déclarés "vénérables" par l'Eglise, le 26 mars 1994. Nous espérons qu'ils seront un jour béatifiés, puis canonisés, c'est-à-dire qu'ils seront proposés comme modèles à toutes les familles dont le drame actuel est bien celui de la désunion...

Vous connaissez peut-être la devise de Jeanne d'Arc: "Messire Dieu premier servi". Il en était bien ainsi dans ce foyer où les soucis familiaux et professionnels ne manquèrent pas, mais ne firent jamais oublier principal : une foi profonde et une confiance inébranlable en Providence Divine.

Louis Martin était horloger et Zélie Martin dentellière. Tous deux épris d'absolu, ils avaient d'abord songé à la vie religieuse mais la vocation à la sainteté ne dépend heureusement pas de notre état de vie : elle est pour tous et le mariage chrétien est une magnifique manière d'y répondre.

S'ils étaient d'un milieu relativement aisé, ils durent quand même faire face à tous les problèmes matériels posés par une entreprise d'une vingtaine d'ouvrières. Monsieur Martin finira par se consacrer entièrementà la vente du " point d'Alençon " produit par les ateliers de sa femme.

Le dimanche, le magasin restait résolument fermé pour pouvoir honorer le "jour du Seigneur". Rien de guindé cependant dans cette famille qui savait juger un sermon, accueillir les pauvres et vibrer à la peine d'autrui. Et pour cause : en quelques années, ils eurent neuf enfants. Quatre moururent en bas-âge dont deux garçons de quelques mois et une ravissante "Hélène" de cinq ans et demi.

 

Thérèse naquit le 2 janvier 1873, elle était la "petite dernière".

Qui étaient ses grandes soeurs ? Marie, l'aînée, qui devint sa marraine sur les fonts baptismaux, le 4 janvier 1873, Pauline, la seconde, que Thérèse prendra toujours comme modèle, Léonie une adolescente difficile, qui avait bien du mal à se situer à tous les niveaux et enfin Céline, l'inséparable compagne de jeux.

Thérèse fut tendrement choyée dans son enfance. Elle bénéficia d'un terreau assez exceptionnel où son amour du Christ et de l'Eglise put s'enraciner profondément. Elle n'en passa pas moins par le "creuset de la souffrance" et sa famille sut lui donner une éducation forte. Elle ne fut pas une petite fille "gâtée", pas plus qu'une petite fille "modèle" ! Juge plutôt : la maladie faillit l'emporter alors qu'elle n'avait que quelques semaines. Elle fut séparée de sa mère pendant plus d'un an pour aller en nourrice à Sémallé, chez Rose Taillé. Le lait de cette brave femme et le bon air de la campagne ne tarderont pas à remettre l'enfant sur pieds. Elle gardera un grand amour de la nature, des fleurs, des animaux...

Lorsqu'elle regagnera la rue saint Blaise à Alençon, en avril 1874, on parlera d'elle comme d'un petit "lutin sans pareil". Vive, expansive, elle avait un coeur aimant et sensible qui s'émotionnait bien facilement" !

Quand on lui disait qu'une chose n'était pas bonne, point n'était besoin de le lui répéter deux fois... cependant contrariée, Thérèse était capable de se mettre "dans des furies épouvantables".

Elle-même reconnaîtra qu'elle était "loin d'être une petite fille sans défauts"

Un drame viendra interrompre ces années "ensoleillées et heureuses" : Madame Martin meurt le 28 août 1877 dans les grandes souffrances d'un cancer généralisé. Thérèse n'a que quatre ans et demi. Le choc est d'autant plus rude qu'elle ne l'extériorisera que très peu : "Je ne me souviens pas d'avoir beaucoup pleuré, je ne parlais à personne des sentiments profonds que je ressentais" (Ms A, 12 v°). Elle choisira Pauline comme seconde maman.

 

 

Lisieux. Les Buissonnets
(Novembre 1877 - Avril 1888)

Monsieur Martin décida de se rapprocher de son beau-frère : Isidore Guérin, pharmacien à Lisieux. Toute la famille vint habiter dans une agréable maison de briques rouges que vous pouvez encore visiter : les Buissonnets. "Les enfants aimant le changement", Thérèse y vint "avec plaisir".

Les premières années là-bas s'écoulèrent "paisibles et heureuses".

Les grandes soeurs poursuivaient sérieusement l'éducation de leur "benjamin", et Monsieur Martin aimait à emmener sa "petite reine" avec lui dans les vieilles églises émaillant la campagne normande, à la pêche sur les bords de la Touques, ou dans le parc voisin.

Pourtant Thérèse en parle comme de la période "la plus douloureuse de son existence... " Pourquoi ? Ecoutez ce qu'elle nous en dit : " A partir de la mort de maman, mon heureux caractère changea complètement, moi si vive, si expansive, je devins timide et douce, sensible à l'excès. Un regard suffisait pour me faire fondre en larmes".

Le comble fut lorsqu'à huit ans, elle dut prendre le chemin de l'école pour aller chez les Bénédictines de Notre-Dame du Pré. Habituée à la douceur du "nid" familial, elle était si peu préparée à la rencontre avec des compagnes jalouses d'elles à cause de ses succès scolaires (le calcul et l'orthographe lui donnaient quand même bien du mal !). "Avec sa nature délicate, elle ne savait pas se défendre"...

Bref, Thérèse nous dira que ce furent les "cinq années les plus tristes de sa vie". Lorsque sa chère Céline aura terminé ses propres études, Thérèse en deviendra malade de chagrin. Son père devra la retirer de l'école et lui faire donner des leçons particulières (en 1886).

 

"Une étrange maladie"

Mais avant cela, un nouveau drame éclate : Pauline décide d'entrer au Carmel le 2 octobre 1882, et sa petite soeur l'apprend par surprise... Même si elle a la certitude que sa place sera aussi un jour au Carmel ("pour Jésus seul et non à cause de Pauline! "), elle le vit comme un véritable abandon. Sa sensibilité en est tellement ébranlée qu'elle tombe malade. Que s'est-il passé exactement à ce moment-là, c'est difficile à dire, mais Monsieur Martin "crut que sa petite fille allait devenir folle ou qu'elle allait mourir". Toute la famille se mit à supplier la Sainte Vierge. Thérèse elle-même, ne trouvant aucun secours sur la terre, se tourne vers sa Mère du Ciel et l'implore. La statue de la Vierge au Sourire qui avait toujours accompagné la famille Martin, était sur une petite commode à côté de son lit. Thérèse raconte :

"Tout à coup, la Sainte Vierge me parut belle, si belle que jamais je n'avais rien vu de si beau, son visage respirait une bonté et une tendresse ineffable, mais ce qui me pénétra jusqu'au fond de l'âme ce fut le "ravissant sourire de la Sainte Vierge". Alors toutes mes peines s'évanouirent... " (Ms A, 30 r°). Elle fit l'expérience que seules la beauté et la douceur de la Vierge Marie peuvent nous guérir de ces terribles blessures liées à des deuils ou à des abandons dans notre vie...

Les peines de Thérèse ne s'arrêtèrent pas là car elle garda longtemps l'impression d'avoir trompé tout le monde en simulant sa maladie et d'avoir trahi le secret de la sainte Vierge en racontant sa guérison... (Les Carmélites la pressaient de questions et la prenaient pour une nouvelle "Bernadette" ! ). Sa première communion préparée avec soin, apportera une accalmie dans un ciel bien orageux. Elle eut lieu le 8 mai 1884, le jour même où sa chère Pauline devenait à jamais l'épouse de Jésus par les voeux religieux.

 

La première Communion et la confirmation

Thérèse reçut le Corps de Jésus comme un véritable "baiser d'amour à son âme". Elle se sentait aimée et disait en retour : "Je vous aime, je me donne à vous pour toujours". Elle mit aussi tout son "coeur à se consacrer à la sainte Vierge, comme une enfant qui se jette dans les bras de sa Mère et lui demande de veiller sur elle". La faim de l'Eucharistie et le recours incessant à la Vierge Marie resteront deux constantes fondamentales dans sa vie.

Autre événement important : sa confirmation par Mgr Hugonin, le 14 juin 1884. "Je m'étais préparée avec beaucoup de soin à recevoir la visite de l'Esprit-Saint, je ne comprenais pas qu'on ne fasse pas une grande attention à la réception de ce sacrement d'Amour [...] En ce jour, je reçus la force de souffrir, car bientôt après, le martyre de mon âme devait commencer". Quel fut ce martyre qui dura près d'un an et demi ?

La retraite de préparation à la seconde communion déclencha chez Thérèse une crise de scrupules dont elle ne sera délivrée qu'en novembre 1886 par une prière fervente adressée à ses petits frères et soeurs morts en bas-âge. Il faut vous dire qu'à l'époque les scrupuleux ne tombaient pas du ciel! Les prédicateurs parlaient volontiers de l'enfer, du péché mortel, terrorisant parfois les enfants à qui ils s'adressaient !

Thérèse vivait d'agréables moments de vacances à la campagne, avec ses cousines, dans la jolie ferme de Saint Ouen-le-Pin, ou au bord de la mer, à Trouville. Elle ne passait pas inaperçue avec ses longs cheveux blonds et ses yeux qui faisaient l'admiration de beaucoup. Certains la surnommaient : "la grande Anglaise". Cette adolescente de quatorze ans était d'une hypersensibilité déconcertante : "Je pleurais comme une Madeleine et lorsque je commençais à me consoler de la chose en elle même, je pleurais d'avoir pleuré" (Ms A, 44 v°). Elle ne semblait guère douée pour les soins du ménage. Tout au plus rentrait-elle quelques pots de fleurs le soir et encore, si sa soeur ne s'apercevait pas de ce service, les larmes se remettaient à couler !

Marie, l'aînée, entre à son tour au Carmel de Lisieux le 15 octobre 1886. Nouvelle épreuve pour Thérèse qui perd celle qui était devenue son unique point de repère...

"En cette nuit de lumière commença la troisième période de ma vie" "Comment pouvais-je me bercer de la douce pensée d'entrer au Carmel, étant encore dans les langes de l'enfance ? Il fallut que le Bon Dieu fasse un petit miracle pour me faire grandir en un moment et ce miracle, il le fit au jour inoubliable de Noël".

Rappelons brièvement les faits : au retour de la Messe de minuit où Thérèse venait de communier au Dieu fort et puissant, son père manifeste un geste d'ennui devant l'usage puéril de mettre les souliers dans la cheminée. En montant l'escalier, la jeune fille parvient à dominer ses larmes... et redescend comme si de rien n'était, faisant la joie de tous les siens ! On ne saurait trop insister sur cet événement fondateur dans la vie de Thérèse : elle en parlera toujours comme d'une véritable conversion. La grâce prit le relais de l'effort nécessaire au point de départ et elle fut revêtue de la force divine : "Je sentis la charité entrer dans mon coeur le besoin de m'oublier pour faire plaisir et depuis lors je fus heureuse" (Ms A, 45 v°).

Dégagée de son hypersensibilité, sa personnalité put se développer harmonieusement à tous les niveaux : physique, psychique et spirituel. Elle fut prise d'une véritable "soif de savoir"'et s'adonna à l'étude de l'histoire et des sciences. Céline commença à lui donner des leçons de dessin et de modelage.

 

"J'ai soif!"

En juillet 1887, à la fin de la messe dans la cathédrale saint Pierre, elle fut frappée par une image qui représentait le Sauveur en Croix. Elle ne put supporter l'idée que ce Sang précieux se perde et résolut de se "tenir en esprit au pied de la Croix" pour le recueillir. "Le cri de Jésus sur la Croix retentissait aussi continuellement dans mon coeur : "J'ai soif" !"Ces paroles allumaient en moi une ardeur inconnue et très vive ... Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé et je me sentais moi-même dévorée par la soif des âmes... Ce n'étaient pas encore les âmes de prêtres qui m'attiraient, mais celles des grands pécheurs..." Henri Pranzini, un assassin notoire devint son " premier enfant". Elle multiplia pour lui prières et sacrifices : il manifesta un signe de repentir juste avant d'être guillotiné.

A la Pentecôte, Thérèse avait osé confier à Monsieur Martin son grand désir d'entrer prochainement au Carmel. Malgré son émotion, "il ne dit pas un mot pour [la] détourner de sa vocation"[...] Bien des épreuves allaient suivre encore.

 

Espérer contre toute espérance

Thérèse se heurta à un refus catégorique de l'aumônier du Carmel.

L'évêque qu'elle alla trouver ensuite ne fut guère plus encourageant. Qu'à cela ne tienne, elle profitera d'un pèlerinage en Italie pour demander la permission d'entrer au Carmel à quinze ans au Saint Père en personne !

Ce beau voyage sera pour elle l'occasion de multiples découvertes... entre autres que les prêtres avec qui elle se trouvait n'étaient pas des anges mais "des hommes faibles et fragiles ayant un besoin extrême de prières".

A son tour, Léon XIII ne répondit qu'un évasif : "Allons... Allons ...Vous entrerez si le Bon Dieu le veut..." à la jeune fille profondément déçue...

Penser qu'elle se découragea serait mal la connaître : en bien des occasions, elle manifestera une force d'âme et une opiniâtreté peu communes. Pour Dieu, n'était elle pas prête à "mourir les armes à la main" ? Son espérance sera récompensée et enfin, elle recevra la réponse tant désirée :

" Le lundi 9 avril Il 988) fut choisi pour mon entrée".

 

 

Au carmel
(1888-1897)
"Mes premiers pas ont rencontré plus d'épines que de roses"

 

On n'insistera jamais trop pour dire que Thérèse savait ce qu'elle faisait en entrant au Carmel à cet âge. L'épreuve et la souffrance n'avaient-elles pas mûri et fortifié son âme ? Au siècle dernier, il n'était pas rare qu'une jeune fille entre au couvent à seize ans. Que cela ne vous donne surtout pas l'idée que Thérèse est d'une sainteté inaccessible et inimitable!

La voici qui fait avec bonheur ses premiers pas dans la vie religieuse : "Avec quelle joie profonde je répétais ces paroles : "C'est pour toujours, toujours que je suis ici !..." Elle ne se berçait pourtant d'aucune illusion, aucun sacrifice ne l'étonna.

Les mille petites "piqûres d'épingle" de la vie quotidienne, les longues heures de prière passées au choeur dans l'aridité la plus absolue, le froid dont elle souffrit à en mourir ne découragèrent pas Thérèse "venue pour sauver les âmes et surtout afin de prier pour les prêtres". Une autre épreuve allait la frapper au plus intime de son être : la maladie de son père, celui qu'elle appelait son "roi chéri" et qui était vraiment tout pour elle.

 

Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face

La santé de Monsieur Martin donnait des inquiétudes lorsque Thérèse prit l'habit, le 10 janvier 1889. C'est à partir de ce jour-là qu'elle ajoutera à son nom le beau vocable "de la Sainte Face". On oublie trop souvent de l'appeler : "Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face" : Ce dernier mystère la marquera plus encore que celui de l'Enfant-Jésus qui lui était pourtant si cher : il sera véritablement inscrit dans son coeur à cause de la maladie cérébrale de son père...

Atteint d'artériosclérose et dangereux pour son entourage, Monsieur Martin dut être interné le 12 février 1889 à l'hôpital psychiatrique du Bon Sauveur de Caen. Il y restera trois ans, jusqu'à ce que la paralysie des membres inférieurs empêche tout risque de fugue. Quelle épreuve pour le coeur sensible de la toute jeune fille de seize ans : "Je n'ai pas dit pouvoir souffrir encore davantage ! ! !..." (Ms A, 73 r°).

Le regard de Thérèse ne s'arrête jamais à la superficie des détails, il va au coeur. Elle puisera sa force en reconnaissant Jésus souffrant à travers son père défiguré, humilié qui mourra le 29 juillet 1894.

Monsieur Martin ne sera pas présent pour la profession de sa "petite reine", le 8 septembre 1890. Ce fut un jour voilé de larmes :

"Le jour de mes noces, je fus vraiment orpheline, n'ayant plus de Père sur la terre mais pouvant regarder le Ciel avec confiance et dire en toute vérité : "Notre Père qui êtes aux Cieux" (Ms A, 75 v°).

Cette foi en la miséricorde de Dieu ne se démentira jamais. Le Père Alexis Prou l'encouragera dans ce sens en lançant son âme sur les flots de la confiance à une époque où l'on prêchait plus la justice divine que la miséricorde, époque marquée par l'empreinte du jansénisme.

La lecture assidue de saint Jean de la Croix l'aidera à entretenir en elle le feu divin de l'amour. Elle pressent que là se trouve l'unique réponse à son coeur assoiffé d'absolu. Le petit livre de l'Imitation de Jésus-Christ demeure un phare pour elle, mais pardessus tout : l'Evangile. A la fin de sa vie, elle ira jusqu'à dire : "Ce livre-là me suffit".

 

"Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi" (Pr 9, 4)

La fin de l'année 1894 voit un autre de ses rêves se réaliser : sa chère Céline franchit à son tour les portes du Carmel pour s'offrir à Jésus. Elle apportera avec elle un carnet de citations bibliques recopiées par ses soins qui seront déterminantes pour Thérèse. Elle y trouvera dans un verset des Proverbes (9,4), les fondements de sa fameuse "petite voie" qui n'a rien à voir avec de la mièvrerie infantile : il est même nécessaire de recevoir une certaine force d'âme pour accepter d'entrer aussi radicalement dans une telle dépendance d'amour à l'égard de Dieu, notre Père. Elle découvre que la sainteté dont elle rêvait n'est pas une chimère mais une douce réalité. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour nous ? Si nous le lui permettons, notre Dieu, à qui rien n'est impossible, réalisera lui-même ce dont nous nous sentons incapables...

Cette découverte dilatera tellement l'âme de Thérèse qu'en juin 1895, pendant la messe de la Sainte Trinité et par les mains de Marie, elle aura l'audace de s'offrir à l'Amour Miséricordieux. Selon le Père MarieEugène, ce fut " l'acte essentiel de sa vie". A partir de ce moment-là, son coeur brûlera d'une vive flamme qui ira jusqu'à la consumer, suivant le désir ardent qu'el le en avait : "Je n'ai plus de grands désirs si ce n'est celui d'aimer aimer jusqu'à mourir d'amour" (Ms C, 7 v°).

 

A l'image du Sauveur

Mystère de la Sagesse de Dieu qui paraît folie aux yeux des hommes !
Mystère que nous ne pouvons qu'adorer tant il risquerait de déconcerter nos esprits incrédules. La prière la plus courte qu'ait jamais écrite sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face était la suivante : "Fais que je te ressemble Jésus". Elle la portait toujours sur son coeur ainsi qu'un timbre à l'effigie de la sainte Face. Il est étonnant de constater combien elle fut exaucée. Nous voici au seuil d'un secret d'amour.

Elle fut configurée au Christ souffrant jusque dans son agonie et dans sa mort.

A Pâques 1896, elle commença à cracher le sang, premier symptôme d'une tuberculose qui ravagera non seulement ses poumons mais son corps tout entier, lui causant d'extrêmes souffrances qu'on ne savait soulager à l'époque.

En même temps, son âme sera envahie des plus épaisses ténèbres et elle traversera la redoutable "épreuve de la foi". Elle ira juqu'à douter que le Ciel puisse,exister pour elle, jusqu'à comprendre les tentations de suicide. Dans l'impossibilité absolue de prier, elle ne pourra que jeter un regard à la statue de la Vierge ou murmurer simplement le doux Nom de Jésus. Toutes sortes de pensées extravagantes l'assiègent. Le raisonnement des pires matérialistes s'impose à son esprit. Elle touchera jusqu'aux portes du désespoir...

 

"Si le grain de blé ne meurt..."

Pourquoi ? Pourquoi ?

Jésus lui-même n'a-t-il pas laissé retentir ce cri : " Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Le disciple serait-il au-dessus de son Maître, l'épouse au-dessus de son Epoux ? Ne s'était-elle pas offerte pour le seul bonheur de son Bien-Aimé, pour désaltérer sa soif et le consoler de l'ingratitude et de l'oubli des hommes ?

Eh bien, on découvre ici l'extraordinaire cohérence de la vie de Thérèse : elle acceptera de rester "assise à la table des pécheurs" et "de manger seule le pain de la douleur" pour qu'ils reçoivent la lumière...

Son "Ciel est de sourire à ce Dieu qu'elle adore, lorsqu'II veut se cacher pour éprouver sa foi" (PN 32).

C'est pourtant au coeur de cette épreuve qu'elle adressera les messages les plus poignants de vérité à ses soeurs ou aux deux frères spirituels qui lui avaient été confiés ll'un en octobre 1875 : l'Abbé Maurice Bellière qui s'embarquera pour le séminaire des Pères Blancs en Afrique, l'autre en mai 1896 : le Père Maurice Roulland destiné à une lointaine mission en Chine).

Etonnante fécondité qui lui permettra de continuer la rédaction de ses Cahiers commencés pendant l'hiver 1894. Thérèse ne consignera ses souvenirs que par obéissance, à la demande de ses soeurs qui voulaient une sorte d'album de famille, ou de quoi alimenter la circulaire nécrologique qu'il était en usage d'écrire sur chaque carmélite après sa mort !
Elle fera cela dans les rares moments libres de ses journées bien remplies ou affectées par la maladie.

 

Etre amour au coeur de l'Eglise

Et c'est encore à cette époque (en septembre 1896) que comme un trait de lumière fulgurant, elle découvrira sa vocation contenue dans la première épître de saint Paul aux Corinthiens :

"La charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l'Eglise avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l'Eglise avait un Coeur et que ce Coeur était brûlant d'amour Je compris que l'Amour seul fit agir les membres de l'Eglise, que si l'Amour venait à s'éteindre, les Apôtres n'annonceraient plus l'Evangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang... Je compris que l'Amour renfermait toutes les Vocations, que l'Amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et tous les lieux... en un mot qu'il est Eternel (... ) Oui, j'ai trouvé ma place dans l'Eglise et cette place, à mon Dieu, c'est vous qui me l'avez donnée... dans le Cceur de l'Eglise, ma Mère, je serai l'Amour.. ainsi je serai tout... ainsi mon rêve sera réalisé !!!" (Ms B, 3 v°).

 

Jeudi 30 septembre 1897

Depuis le 8 juillet, Thérèse est à l'infirmerie. Ses soeurs se relaient à son chevet. Mère Agnès note soigneusement toutes les paroles de sa petite soeur :

"L'agonie est terrible, sans aucun mélange de consolation ".

A bout de forces, elle étouffe.

"Mais le Bon Dieu ne va pas m'abandonner bien sûr.. Il ne m'a jamais abandonnée".

"... Oui mon Dieu, tout ce que vous voudrez, mais ayez pitié de moi !" "Mes petites soeurs, priez mour moi ! " "Je n'ai jamais cherché que la Vérité" "Je ne me repens pas de m'être livrée à l'Amour" (...)

Et regardant son crucifix :

"Oh ! je l'aime ! Mon Dieu... je vous aime !... "

Les soeurs eurent le temps de s'agenouiller autour du lit et furent témoins de l'extase. Son visage avait repris le teint de lys qu'il avait en pleine santé, ses yeux étaient fixés en haut brillants de paix et de joie".

(Extrait des Derniers Entretiens au 30-9-1896)

 

Thérèse avait elle-même écrit à son frère spirituel, l'Abbé Bellière : "Je ne meurs pas, j'entre dans la vie ".

Et c'est vrai que tout va commencer...

 

 

Un ouragan de gloire

 

Quelques dates

"Tout le monde m'aimera" avait un jour affirmé Thérèse à ses soeurs. Elles étaient certainement loin de se douter du véritable "embrasement universel" qui se propagera à une vitesse folle immédiatement après sa mort. Chiffres et dates sont éloquents :

- 1898 : un an jour pour jour après la mort de Thérèse, parution de l'Histoire d'une âme. Les 2000 exemplaires sont rapidement épuisés;
- Les rééditions se multiplient ;
- 1906 : l'ouvrage est déjà traduit en 6 langues ;
- vers 1908 : premiers miracles sur la tombe de Thérèse (une petite fille de quatre ans, aveugle de naissance est guérie) ;
- 1910 : ouverture du Procès de l'Ordinaire ;
- 1915 : ouverture du Procès apostolique à Bayeux ;
- des milliers de lettres affluent au Carmel de Lisieux ;
- 29 avril 1923 : Béatification par Pie XI ;
- 17 mai 1925 : Canonisation par Pie XI devant 500 000 pèlerins ;
- 14 décembre 1927 : Pie XI déclare Thérèse patronne des Missions avec saint François-Xavier ;
- 1937 : inauguration de la Basilique ;
- 3 mai 1944 : Pie XII proclame Thérèse patronne secondaire de la France ;
- 1980 : le Pape Jean-Paul II se rend en pèlerinage à Lisieux ;
- 1997 : Le 19 Octobre, l'année du centenaire de son éentrée dans la vie", le Pape Jean Paul II déclare Thérèse "docteur de l'Eglise".
- environ 2000 églises ou chapelles lui sont consacrées dans le monde ;
- plus de 50 congrégations se réclament de sa spiritualité sur les cinq continents.

On pourrait multiplier cette liste à'l'infini... Des rayons de bibliothèque sont couverts d'ouvrages consacrés à Thérèse et aux grâces reçues par son intercession. On l'implore des quatre coins de la planète, de tous les milieux sociaux possibles et imaginables avec une confiance réellement touchante. Pie XI l'appellera : "l'enfant chérie du monde".

Ainsi se vérifie ce qu'elle avait annoncé :

"Je sens que ma mission va commencer, ma mission de faire
aimer le bon Dieu comme je l'aime, de donner ma petite voie aux âmes".

 

Soeur Monique Marie de la Sainte face

 

Texte tiré de la revue "Théophile" de Juin 1996

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"Théophile"
32 rue La Fontaine
75016 Paris

 

Histoire de Thérèse, suite

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