Le doctorat

entretien avec Mgr Gaucher

 

Quand nous avons demandé à Mgr Guy Gaucher, évêque auxiliaire de Bayeux et Lisieux et grand artisan du doctorat, s'il était heureux que cette démarche ait enfin abouti, il nous a répondu dans un sourire : " C'est maintenant que tout commence ". Le biographe de Thérèse a bien voulu nous recevoir afin de nous parler de l'enseignement de Thérèse de l'Enfant-Jésus.

 

Les doctorats de Catherine de Sienne et de Thérèse d'Avila ont été prononcés en 1970. Pourquoi a-t-il fallu attendre 27 ans de plus pour Thérèse?

Ces doctorats entrouvraient la porte du doctorat aux femmes. Mais il faut se rappeler qu'après 1968, les saints n'avaient pas " la cote ". Dans les années 1980, on a recommencé à célébrer des centenaires - saint Benoît, saint Ignace de Loyola, Thérèse d'Avila, sainte Claire, saint François et tant d'autres -, dans un grand courant spirituel qui nous a fait retrouver les saints, leur vie et leur théologie. Deuxièmement il nous a fallu travailler durant 25 années à la publication de l'édition critique des uvres de Thérèse, ce qui a permis de la redécouvrir par ses écrits, ses vraies photos, etc.

 

A l'annonce du doctorat lors de la messe des JMJ, les jeunes ont fait une ovation générale. Pensez-vous que ce doctorat répondait à une véritable attente?

Il y a un an et demi, dans son message aux jeunes pour les inviter à Paris, le Saint-Père a dit que " Thérèse est une sainte jeune pour les jeunes ". A partir de ce moment, Thérèse était présente dans la préparation des Journées mondiales de la Jeunesse. Le service national des vocations a fait sa journée avec Thérèse de Lisieux, elle était citée dans les fiches préparatoires des JMJ, etc. Un grand nombre de jeunes catholiques la connaissent donc déjà. D'autre part les communautés nouvelles sont très tournées vers Thérèse. Enfin, cela fait des années que nous travaillons à faire découvrir la petite sainte dans toute sa vérité.

 

Thérèse est plutôt un docteur qui soigne, ou un docteur qui enseigne?

Qu'est-ce qu'un Docteur de l'Église? C'est un saint canonisé (Thérèse l'a été en 1925) qui a une doctrine éminente qui apporte une vision théologique et spirituelle pour l'Église universelle. Il faut une déclaration du Magistère, c'est-à-dire du Saint-Père. Les gens répondent souvent : " c'est un médecin ". Et c'est vrai que Thérèse est la plus grande thaumaturge des temps modernes : par la grâce de Dieu, elle guérit. Elle est donc Docteur sous les deux aspects. Il demeure qu'elle a jusqu'à présent été surtout connue comme thaumaturge, et que, dans le siècle qui arrive, on va plus la découvrir comme enseignante. Pour résumer : " Ma mission, c'est de donner ma petite voie aux âmes pour qu'elles aiment le Bon Dieu comme je l'aime ". C'est le docteur; et " Je passerai mon Ciel à faire du bien sur la terre jusqu'à la fin des temps ". C'est la thaumaturge.

 

Le fait que Thérèse soit proclamée Docteur va-t-il changer la perception que l'on peut avoir d'elle?

J'ai entendu dire : " A quoi ça sert, puisqu'elle est déjà sainte? ". Or il y a des milliers de saints, mais seulement 33 docteurs en deux mille ans! On la prendra certainement plus au sérieux dans certains milieux où l'on en a une idée un peu courte, d'autant que son doctorat était demandé par 50 conférences épiscopales dans le monde, et que la Positio a été soumise aux théologiens de la Congrégation des saints, de la Congrégation de la Foi, et aux cardinaux, après un examen très rigoureux et l'appui de très nombreux théologiens, spirituels, et historiens.

 

Thérèse n'a jamais fait d'étude de théologie. Elle bouscule donc encore une fois les idées reçues?

La plupart des Docteurs que nous connaissons - saint Basile, saint Augustin, saint Thomas, etc. - ont écrit des Sommes théologiques bâties, conceptuelles, et tout à fait indispensables. Le jour où, en 1970, l'Église a déclaré deux femmes Docteurs dont Catherine de Sienne qui était illettrée, a été une révolution. En fait il s'agit d'un autre type de doctorat, en lien avec une théologie non pas conceptuelle mais symbolique, plus féminine, mais pas moins profonde. Même saint Thomas d'Aquin dit au début de sa Somme théologique qu'il y a deux manières de parler de Dieu : une manière conceptuelle (ce qu'il va faire) et une manière symbolique, métaphorique, et que les deux sont nécessaires. Je fais remarquer qu'un autre Docteur, saint Jean de la Croix, a commencé par exprimer son expérience de Dieu par la poésie.

Le langage de Thérèse est l'expression de ce qu'elle vit, de son rapport à Dieu, d'une formidable richesse, mais qui s'exprime par les mots du langage habituel. On a pu dire que Thérèse de l'Enfant-Jésus est le saint Jean de la Croix du XXe siècle, au sens ou elle ne dit pas autre chose, mais dans un tout autre langage, plus simple et plus universel encore. Et c'est pour cela qu'elle touche les foules! Car, avec tout le respect dû à nos grands Docteurs, je constate que Thérèse, qui est traduite en 60 langues dans le monde, est plus lue que saint Bernard et saint Alphonse de Liguori! Enfin je crois que si Jean-Paul II a voulu que l'on reconnaisse cette fille comme enseignante, c'est que son universalité est un des traits du Docteur.

 

Quand il faudra expliquer à des jeunes, en quelques mots, la "petite voie" de Thérèse, comment faudra-t-il parler?

Tout d'abord, ce n'est pas une petite sainteté pour les braves gens, par opposition à une grande sainteté. La voie de Thérèse, c'est vivre l'Évangile. Or le coeur de l'Évangile, c'est de vivre en enfant de Dieu, ce que le baptême fait en Jésus-Christ, lui-même Fils qui vit dans la totale confiance au Père. Thérèse redécouvre la manière de vivre sa vie chrétienne : vivre cette confiance au Père, dans le Christ. " Si vous ne redevenez pas comme des petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu ". Pour elle, la confiance n'a aucun soupçon sur l'Amour que Dieu nous porte. Voilà qui est beaucoup plus dur à vivre quand tout va mal! Thérèse, malgré sa maladie et sa nuit de la Foi, fera jusqu'au bout confiance à l'Amour.

 

Comment Thérèse, à une époque encore très janséniste, a découvert cette " petite voie toute nouvelle "?

Le cur de la règle du Carmel où elle entre est de méditer nuit et jour la Parole de Dieu. Bien que n'ayant pas la Bible intégrale, Thérèse s'est plongée dans l'Évangile. Elle l'a scruté - " Je lis l'Évangile pour connaître le caractère du Bon Dieu " ou encore " Ta Parole est une lumière qui éclaire mes pas " - et sous l'inspiration de l'Esprit Saint, elle en a redécouvert le cur par un travail incessant d'approfondissement. Tout cela grâce à une audace et à une logique profonde de l'Amour.

 

Comment faut-il interpréter la nuit de la Foi qu'elle a vécue à la fin de sa vie?

Comme une nuit apostolique, puisqu'elle offre cette nuit pour les incroyants. Elle dit elle-même que cette épreuve arrive parce qu'elle avait une notion trop naturelle du Ciel. Ce n'est pas une purification au sens strict, et ce n'est pas non plus une nuit de l'esprit, comme la décrit Jean de la Croix. C'est une union à la Passion du Christ qu'elle offre pour le salut du monde - elle le dit : " Jésus est mort non pas dans les extases mais dans l'angoisse ".

Elle-même meurt dans une agonie terrible, proche de Gethsémani et de la Croix. Je ne sais pas si elle a eu une extase - le mot n'apparaît que peu à peu dans les écrits de mère Agnès, qui écrit pourtant le soir du 30 septembre un billet à sa famille, où elle pose la question : " Que voyait-elle? ".

Thérèse peut-elle effectivement dire aujourd'hui : " Je suis prophète, apôtre, prêtre, docteur...? "

Lorsque je lis ces textes de cette crise de l'été 1896, je pense que ses désirs n'étaient pas les siens et qu'ils étaient mis en son cur par l'Esprit Saint, simplement parce que l'Histoire les réalise tous! Elle voulait annoncer l'Évangile dans le monde entier : elle est patronne universelle des missions. Elle voulait être Docteur, elle l'est. Elle ne sera bien sûr jamais prêtre, mais le cardinal Lustiger dit qu'elle n'avait pas un désir du sacerdoce ministériel mais du sacerdoce baptismal - dont elle ne savait rien, hélas. Une femme, comme un homme, est faite à son baptême " prêtre, prophète et roi ". C'est donc dans son être de baptisée et de carmélite qu'elle a vécu ce sacerdoce qui est de sauver le monde avec Jésus.

 

Vatican II a-t-il emprunté à Thérèse?

Le Concile n'en parle jamais dans les textes, mais Thérèse est citée par beaucoup de Pères dans les discussions. Elle est citée six fois dans le Catéchisme universel. Elle a donc commencé son ministère de Docteur depuis bien longtemps. Les pères Congar, Garrone, Balthasar, Journet, etc, se sont souvent référés à elle. Le cardinal Martini de Milan a, ici-même, répondu à un journaliste qui lui demandait s'il était pour le doctorat de Thérèse : " Mais mon cher ami, elle est déjà Docteur. C'est une évidence! "

 

Thérèse a dit que, par sa nuit de la Foi, elle s'est "assise à la table des pécheurs". Quelle espérance devons-nous fonder pour les pécheurs et les incroyants sur Thérèse et son doctorat?

Mgr Gilson vient de me dire qu'il représentera la Mission de France le 19 octobre à Rome. Or la Mission de France a été fondée dans les années 40 dans cette maison, par le cardinal Suhard, ancien évêque de Bayeux et Lisieux devenu archevêque de Paris, pour évangéliser l'incroyance moderne, sous la protection de Thérèse. Et il a écrit à mère Agnès : " Ma Mère, votre petite sur a encore beaucoup de travail..."

 

Propos recueillis par

Bertrand GUILLERM

pour France Catholique

 

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